Accueil du [Site] > Articles > Découvertes > Culture Libre > Quelques questions sur le Libre (et leurs réponses)

Quelques questions sur le Libre (et leurs réponses)

mardi 1er février 2011, par Valentin.

Si vous avez fait un tour sur mon [Site], vous aurez pu constater que je mets à disposition du public la plupart de mes partitions, à titre gratuit — ou plus exactement, sous diverses licences Libres.

Cette initiative (même si elle est de plus en plus répandue) ne manque pas de susciter des questions auprès du public ou de certains collègues. Je tente ici de récapituler ces questions et d’y répondre de mon mieux.

 Pourquoi laisser vos œuvres en accès libre ?

Réponse courte :
Pour de nombreuses raisons, à la fois pratiques et éthiques.

Réponse longue…

D’un point de vue pragmatique, le Web est un moyen de diffusion incomparablement plus efficace que tout autre, qui me permet donc de faire connaître mon travail le plus largement possible. De plus, le fait de ne pas être soumis à un éditeur ou autres intermédiaires me donne une plus grande liberté artistique et financière.

D’un point de vue éthique, je souscris à la philosophie du Libre (voir ci-dessous) :

  • en tant qu’auteur, je ne veux pas que d’autres décident en mon nom du devenir de ce que j’écris,
  • en tant que musicien, je constate chaque jour que le système traditionnel ne permet plus à la musique contemporaine (et, au sens large, savante) de continuer à vivre face à l’omniprésence d’une culture musicale « de consommation » : les éditeurs ne prennent pas de risques, ne soutiennent pas assez les jeunes auteurs inconnus, etc.
  • en tant qu’enseignant, je fais le même constat, en pire : les pratiques musicales amateur « de qualité » sont en perte de vitesse alarmante, et se déconnectent de plus en plus de la musique écrite — à plus forte raison contemporaine — : les partitions sont trop chères, l’on n’a pas le droit de les reproduire ni même de les jouer en public, etc.
  • enfin, et avant tout cela, en tant que citoyen je ne peux ni ne veux cautionner un système fondamentalement inégalitaire, injuste (voir plus bas) et qui va en tous points à l’encontre des valeurs de la république française.

 Ne risquez-vous pas de vous isoler en faisant ce choix ?

Réponse courte :
Ce n’est pas le but recherché, mais c’est effectivement un risque en France, où les sociétés de droits « d’auteur » et les éditeurs persistent à ne pas reconnaître l’existence des licences Libres.

Réponse longue…

Notons toutefois que dans beaucoup d’autres pays, les choses sont en train d’évoluer — les acteurs français se distinguant ici (comme dans bien d’autres domaines) par leur arrogance, leur intransigeance, et leur vision à court terme.

En l’état, il faut « choisir son camp », et j’ai choisi le mien — ou plutôt on l’a choisi pour moi : le simple fait de ne pas vouloir cautionner que quiconque puisse être passible de poursuites pour avoir reproduit une de vos œuvres, vous ferme les portes des sociétés de droits « d’auteur », ce qui vous empêche ensuite de signer chez un éditeur, etc.

Le « camp » étant choisi, je n’ai plus d’autre possibilité que de m’engager à fond, en espérant pouvoir compter sur la sympathie de la communauté du Libre pour bénéficier d’un minimum de soutien — pour l’instant, cet espoir s’est avéré pour le moins illusoire.

 N’est-ce pas suicidaire d’un point de vue professionnel ? Ou bien n’êtes-vous qu’un amateur ?

Réponse courte :
N’importe quel compositeur, Libre ou non, sait combien ce métier est difficile quel que soit le modèle de diffusion que l’on choisit. Il est certain que ce choix ne me facilite pas la vie, mais j’estime plus important d’être en accord avec soi-même que de poursuivre des miroirs aux alouettes.

Réponse longue…

Rester fidèle à ses convictions est un luxe, et je suis heureux de pouvoir me le permettre aujourd’hui à l’âge de 26 ans — n’ayant pas d’enfants et gagnant (chichement) ma vie en tant qu’enseignant. J’ai tout le temps d’être rattrapé par la réalité... en ayant peut-être eu une chance de la changer un tant soit peu d’ici-là.

Au passage, je m’inscris en faux contre la distinction arbitraire faite couramment entre « amateur » et « professionnel ». Il me paraît hasardeux — sinon malhonnête — de prétendre distinguer la valeur de différents artistes en prenant pour seul critère la quantité d’argent qu’ils retirent de leur art. Ce qui n’empêche pas, bien évidemment, qu’il y ait des artistes de grande valeur et d’autres non — si tant est que la grosse machinerie de l’industrie culturelle nous laisse le temps de distinguer les uns des autres, ce qu’elle évite en général de faire.

 C’est quoi, être « Libre » ?

Réponse courte :
C’est être auteur sans oublier que l’on est avant tout citoyen.

Réponse longue…

Le mouvement Libre est apparu il y a une trentaine d’années, et s’est développé avec l’essor du réseau Internet.

Imaginons un auteur (ce peut être un artiste, un développeur, un chercheur, un personnage public ou un simple citoyen), qui produit une œuvre (ce peut être un texte, une musique, une image, un film, un programme, un document ou quoi que ce soit).

Deux solutions s’offrent à lui : soit il ne la montre à personne (c’est son droit le plus strict), soit il la rend publique.

S’il choisit de la rendre publique, là encore, deux solutions se présentent : soit il la laisse entièrement accessible à tous, soit il en restreint l’accès et l’usage, par exemple, en obligeant les gens à payer ou en leur interdisant de faire des copies de l’œuvre.

L’éthique Libre veut qu’un auteur ne se serve pas de son œuvre pour restreindre les libertés civiques de ses concitoyens. Après tout, un auteur est un citoyen comme un autre : pourquoi devrions-nous lui accorder davantage de droits, ou moins de devoirs, qu’aux autres gens ?

En cela, le Libre est un mouvement social, philosophique et politique.

 Que reprochez-vous au modèle traditionnel ? Il n’y a rien de mal à faire payer ses œuvres et interdire de les reproduire !

Réponse courte :
Les œuvres de l’esprit ne peuvent être commercialisées de la même façon que les biens matériels. Nous en avons eu l’illusion dans les siècles passés, mais ces dernières décennies ont montré combien ce raisonnement était trompeur et biaisé, lorsque la duplication et la diffusion de biens immatériels est devenue extrêmement rapide, facile et peu coûteuse.

Par habitude, par résignation ou par ignorance, plus souvent que par choix, la plupart des artistes et auteurs continuent d’appliquer ce système caduc sur lequel s’arc-boutent encore les industriels de la culture. Il n’est pas certain qu’ils feraient ce choix s’ils disposaient (plutôt que de la propagande desdits industriels) d’informations complètes et impartiales sur les conséquences de ce modèle de diffusion, et sur les modèles alternatifs.

Réponse longue…

C’est un des problèmes : ne pas choisir, c’est déjà choisir. Le droit d’auteur traditionnel, qui s’applique par défaut à tout ce qu’un auteur crée (qu’il le dépose ou non), est un droit très restrictif : « tous droits réservés », selon la formule consacrée.

La plupart des auteurs n’ont, bien sûr, aucune envie d’attenter aux libertés de leurs concitoyens : mais par le simple fait qu’ils publient leurs œuvres de façon traditionnelle, et font de plus intervenir de nombreux intermédiaires (société de droits d’auteurs, éditeur, maison de disque, distributeur,...), ils autorisent et cautionnent de fait un système abusif, préjudiciable aux citoyens, et dangereux pour les valeurs de notre démocratie.

(Un point économique, au passage : dans la plupart des cas, les intermédiaires en question sont constitués de, ou inféodés à, de grandes entreprises étrangères, ce qui engendre une fuite de capitaux pour le moins problématique.)

Dans ce système, les œuvres seront « protégées » pendant une période déraisonnablement longue (plusieurs décennies après leur mort), pendant laquelle les citoyens se verront obligés de renoncer à certaines de leur libertés :

  • droit à la vie privée (ainsi, l’on espionne votre connexion Internet pour vérifier que vous ne téléchargez pas de contenus protégés,...)
  • liberté d’expression (vous n’êtes pas libre de citer longuement certains ouvrages, y compris dans le cadre d’un travail de recherche,...),
  • liberté d’enseignement (les élèves musiciens n’ont pas le droit de jouer de musiques de films, même dans un cadre pédagogique, une école ne peut afficher des dessins d’élèves s’ils représentent des personnages de dessins animés,...)
  • liberté de création (un auteur ne peut s’inspirer d’une autre œuvre pour ses propres créations, même sous forme d’hommage revendiqué,...)
  • voire, dans les pires des cas, à une part de leur intégrité physique (en visite dans une ville, il peut vous être interdit de vous photographier devant certains monuments ; dans les conservatoires, élèves et professeurs sont fouillés pour vérifier qu’ils ne détiennent pas de photocopies de partitions,...).

Encore une fois, de nombreux auteurs ne cautionneraient absolument pas de telles atteintes si le choix leur était donné. Mais ils ignorent bien souvent qu’ils ont le choix — d’autant qu’ils sont bien souvent placés derrière une avalanche d’intermédiaires, qui ont leurs propres intérêts économiques (parfois énormes) à défendre.

Une solution serait, bien évidemment, de faire évoluer les lois pour les rendre plus compatibles avec les valeurs démocratiques. De nombreux acteurs travaillent en ce sens, à très long terme ; mais leur travail est compliqué par le fait que, d’une part, le législateur est invariablement plus soucieux de satisfaire les industriels de la culture et des médias que du bien-être des citoyens, et d’autre part parce qu’une bonne partie de ces cadres juridiques se négocient au niveau international (Union Européenne, voire le monde entier pour certaines conventions).

Au-delà de ces considérations, nous devons tous faire des concessions pour contribuer au bon fonctionnement de la démocratie. Que les citoyens fassent quelques concessions sur leur libertés pour favoriser l’art et la création, c’est possible et c’est déjà le cas (ô combien). Mais les auteurs, eux aussi, peuvent faire quelques concessions, de leur plein gré et par respect pour leur prochain : telle est la position du mouvement Libre.

 Êtes-vous opposé au Droit d’Auteur ?

Réponse courte :
Pas du tout, bien au contraire ! Je souhaiterais que le droit d’auteur mérite réellement son nom.

Réponse longue…

Le droit d’auteur est un contrat social irremplaçable entre, d’une part, la société dans son ensemble, qui accepte (nous l’avons vu) de renoncer à certaines libertés, et d’autre part l’auteur qui apporte en échange, son art et son talent.

Le problème est que cet équilibre, au fil des deux derniers siècles, s’est peu à peu rompu, toujours en défaveur des citoyens et principalement au profit, non pas des auteurs, mais surtout d’intermédiaires toujours plus nombreux : imprimeur, libraire, puis éditeur, producteur, impresario, maison de disques, distributeur, société de droits d’auteur, société de répartition,...

Que tous ces intervenants aient chacun leur compétence et leur utilité, ce n’est pas en question : ce qui pose problème, c’est que les auteurs, peu à peu, aient été dépossédés, de fait, de tout contrôle sur le mode de diffusion de leurs œuvres — et que l’on défende aujourd’hui, sous le nom de « droit d’auteur », des intérêts qui ne sont pas nécessairement... ceux des auteurs, précisément !

Le propos du mouvement Libre est donc de permettre aux auteurs de se réapproprier le contrôle sur la diffusion de leurs œuvres, et en particulier de leur montrer qu’ils ont un choix — les modes de diffusion qu’ils choisissent (ou refusent) de choisir, ayant un impact sur la vie de leurs concitoyens.

Adopter une licence Libre, ce n’est donc pas renoncer à son droit d’auteur : j’y reviendrai dans un instant.

 Qu’est-ce qu’une licence Libre ?

Réponse courte :
Une licence, c’est un document qui accompagne l’œuvre, et qui fait la liste de tout ce que l’auteur vous autorise à faire de son œuvre. Si vous souhaitez en faire un usage qui n’est pas prévu par la licence, vous devrez solliciter une « exception » auprès de l’auteur, ce qui revient à rentrer dans le système du droit d’auteur classique.

Reste à savoir ce qui fait que cette licence peut être qualifiée de « Libre » (voir ci-dessous).

Réponse longue…

Supposons qu’en tant qu’auteur, vous souhaitiez accorder certaines libertés spécifiques à votre public (par exemple, autoriser la diffusion d’une œuvre n’importe où sauf dans un meeting politique, ou bien : autoriser la représentation publique de votre œuvre à condition que tous les exécutants portent des chaussettes roses à pois mauves). Vous pouvez écrire la liste de ce que vous autorisez sur un document, qui sera alors la « licence » de l’œuvre. De nombreuses licences toute-prêtes existent déjà, en général rédigées avec l’aide de juristes, donc vous préfèrerez peut-être utiliser une de celles-là.

Un point commun de toutes les licences est que quiconque reproduit ou diffuse l’œuvre doit également reproduire et diffuser la licence qui l’accompagne, de telle façon que le public sache toujours de quelles libertés il peut disposer.

Juridiquement, une licence Libre peut être décrite en droit français comme un contrat de louage innommé. Toute personne qui reçoit une œuvre et la licence qui l’accompagne peut choisir de se conformer aux termes de la licence (auquel cas elle accepte, de fait, d’être liée par le contrat), ou non : dans ce dernier cas, c’est le droit d’auteur « par défaut » qui s’applique, et qui accorde en général bien moins de libertés que la licence.

 Libre veut-il dire « libre de droits » ?

Réponse courte :
Ce serait trop simple ! En général lorsqu’on vous « offre » un contenu « libre de droits », on omet de vous préciser de quels droits il s’agit et sous quelles conditions vous en êtes « libre ». Avec une licence Libre en revanche, vous disposez de tout ce qu’il faut savoir, en toute transparence.

Réponse longue…

Tout d’abord, l’expression « libre de droits » est un raccourci malheureux, fruit de la traduction incorrecte de l’anglais royalty free.

Une œuvre « libre de droits » est, en général, un contenu illustratif (images, effets sonores) proposé sous une licence contraignante (et souvent payante), qui vous abstrait de certaines charges à payer au titre des droits d’exploitation, dans les limites d’un cadre strictement spécifié.

Ces contenus sont d’ailleurs le plus souvent commercialisés ainsi, non par leurs auteurs, mais par des entreprises pour qui ce modèle de diffusion est un business très lucratif. De telles entreprises dépossèdent les auteurs de tout choix quant au devenir de leurs œuvres (et, dans bien des cas, d’une partie de leurs droits patrimoniaux, voire moraux dans les pays anglo-saxons) ; à ce titre elles sont totalement étrangères à l’éthique Libre.

La liberté dont parle le mouvement Libre n’est donc pas la pseudo-« liberté » consumériste que l’on entend généralement sous l’appellation trompeuse qu’est « libre de droit ». (C’est une raison pour laquelle je mets une majuscule au mot Libre, afin d’éviter toute ambigüité.)

 Libre veut-il dire « gratuit » ?

Réponse courte :
Pas du tout. Libre veut dire, hum, libre. Cela peut impliquer (mais pas toujours) une « liberté de payer autant que vous voulez », ou une « liberté de ne pas payer » — ce qui n’est, au demeurant, pas exactement la même chose que « gratuit ».

Réponse longue…

Dès son apparition dans le domaine informatique, les programmeurs du mouvement Libre ont tenu à préciser qu’il est parfaitement autorisé de vendre des logiciels Libres. C’est qu’en anglais, le terme free signifie à la fois « libre » et « gratuit », d’où l’ambigüité. Cependant en français nous avons la chance d’avoir deux mots différents, donc pourquoi ne pas s’en servir ?

Bien évidemment, le mot « libre » en français s’applique avant tout aux gens et non aux choses ; on parle, tout au plus, de vers libres en poésie, de variations libres en musique, ou de libre pensée...

Une œuvre qui est libre, c’est une œuvre qui protège avant tout la liberté de son public. En d’autres termes, la gratuité n’est pas une condition nécessaire : je serai ravi de vous acheter telle œuvre (c’est moi qui fais le choix de l’acheter, vous n’attentez donc pas à ma liberté), mais je ne vous reconnais pas le droit, par la suite, de m’empêcher de la reproduire et de la distribuer gratuitement à mes amis.

Même si elle n’est pas explicitement choisie par l’auteur, la gratuité est donc souvent une conséquence ou un effet de bord des licences libres, ce qui pose de nombreuses questions sur lesquelles je reviens plus bas.

 Quels sont les avantages d’une œuvre Libre ?

Réponse courte :
La réponse la plus élégante à cette question est celle de Richard Stallman, fondateur du mouvement Libre, qui propose de résumer l’esprit des licences Libres en trois mots : Liberté, Égalité, Fraternité. Ça vous évoque quelque chose ?

Réponse longue…

La première licence Libre, historiquement, est celle du projet GNU de Richard Stallman, avant tout conçue pour s’appliquer à des programmes informatiques. Cette définition a depuis été adaptée aux œuvres culturelles, et voici les quatre libertés autour desquelles elle s’articule :

  • la liberté d’utiliser l’œuvre et de jouir des avantages à en user
  • la liberté d’étudier l’œuvre et de mettre en œuvre le savoir que l’on en tire
  • la liberté de faire et de redistribuer des copies, de l’ensemble ou d’une partie de l’information ou de l’expression
  • la liberté de modifier ou d’améliorer, et de distribuer les œuvres dérivées.

Cependant, le mouvement Libre est extrêmement varié : chaque auteur est... eh bien, libre, précisément, de choisir pour n’importe laquelle de ses œuvres, quelles libertés il souhaite accorder à son public.

La liste de ces libertés est décrite très précisément dans un document appelé licence, qui sera joint à toute copie de l’œuvre et fera force de contrat vis-à-vis de tout « usager » (lecteur, interprète, ou autre) qui en acceptera les termes.

La fondation américaine Creative Commons a ainsi mis au point un éventail de licences prêtes à l’emploi, qui permet à un auteur, par exemple :

  • d’autoriser (ou non) la possibilité de modifier son œuvre pour créer une œuvre dérivée
  • d’autoriser (ou non) l’usage de son œuvre dans un cadre commercial
    et ainsi de suite.

Il y a aussi la licence Art Libre, et bien d’autres... En un sens, on pourrait même dire que Jean Giono fit un choix d’auteur Libre lorsqu’il publia, dans les années 1950, son texte L’Homme qui plantait des arbres :

Le texte que vous avez lu a été traduit en [treize langues]. J’ai donné mes droits gratuitement pour toutes les reproductions. [...] C’est un de mes textes dont je suis le plus fier. Il ne me rapporte pas un centime et c’est pourquoi il accomplit ce pour quoi il a été écrit.

Attention toutefois : ce qui importe dans une licence Libre, ce n’est pas seulement ce qui est autorisé, mais aussi ce qui ne l’est pas (voir ci-dessous).

 Publier sous licence Libre, est-ce renoncer à tous ses droits sur une œuvre ?

Réponse courte :
Absolument pas. Vous n’accordez à votre public que les permissions que vous souhaitez (voir plus haut), et le fait que votre public dispose de ces permissions ne vous empêche aucunement de faire ce que vous voulez de votre œuvre à l’avenir.

Réponse longue…

Tout d’abord, je ne suis pas certain qu’il serait légal, en France, de renoncer à la totalité de ses droits : les droits moraux d’un auteur sont inaliénables et non-renonçables.

Une licence Libre n’est pas un blanc-seing qui autoriserait à faire tout et n’importe quoi avec une œuvre. Par exemple, aucune licence Libre n’autorise à dénier à un auteur la paternité de son œuvre (en clair : vous n’avez pas le droit de diffuser une de mes œuvres en remplaçant mon nom par le vôtre). Les contraintes liées au droit d’auteur ne disparaissent pas comme par magie !

Toute licence Libre repose donc sur le droit d’auteur. Elle y ajoute quelques libertés, mais ne s’y substitue pas.

De plus, une licence Libre n’est jamais imposée à qui que ce soit : le premier venu peut choisir de ne pas respecter les termes de la licence... cependant dans ce cas, c’est alors le droit d’auteur traditionnel qui s’applique (et il est en général beaucoup plus restrictif) !

En d’autres termes, tout auteur conserve le droit de faire exploitation de son œuvre de façon traditionnelle auprès d’une clientèle donnée, même si ladite œuvre est par ailleurs disponible sous licence Libre. Ainsi, de nombreux livres ont été édités de façon traditionnelle alors que les auteurs les mettaient en même temps à disposition du public sur Internet, sous une licence Libre — et le plus étonnant est qu’en général ces livres ne se vendent pas moins bien pour autant !

Une autre conséquence, qui a été vérifiée lors de plusieurs affaires judiciaires en France et à l’étranger, est qu’une violation de licence Libre est strictement équivalente à une violation de droit d’auteur classique (c’est-à-dire en droit français, un délit de contrefaçon), et elle sera donc punie avec la même sévérité.

Enfin, toute licence Libre cessera d’être applicable dès que l’œuvre fera son entrée dans le domaine public. Mais ce n’est pas pour demain.

 Si tout le monde faisait comme vous, les auteurs mourraient de faim !

Réponse courte :
Vous voulez être sûr de ne pas mourir de faim ? Alors, devenez plombier : pour autant que je sache, les chasses d’eau résistent admirablement bien au piratage.

Réponse longue…

C’est une objection classique de la propagande anti-Libre : ceux-là même qui spolient chaque jour sans vergogne les droits des artistes, sont les premiers à sortir leurs violons pour se lamenter sur leur sort dès que cela les arrange.

Tout d’abord, il faut souligner que, aujourd’hui encore, faire le choix d’une carrière artistique, c’est courir le risque de mener une existence précaire sinon misérable. C’est un état de fait que nous ne pouvons que regretter, mais auquel trois siècles de « droit d’auteur » n’ont strictement rien fait pour remédier.

Il importe également de s’interroger sur la part qu’occupent réellement les royalties ou autres « droits de suite » dans les revenus d’un artiste, même couronné de succès. Elle est en général moins élevée que l’on veut nous le faire accroire :

  • nombre de musiciens vivent bien plus de leurs concerts que des ventes de leurs disques,
  • la quasi-totalité des peintres vivent avant tout de la vente de leurs toiles, loin devant les droits de reproduction,
  • la plupart des compositeurs sont également exécutants, enseignants ou conférenciers,
    et ainsi de suite.

Nous souhaiterions évidemment qu’un revenu décent puisse être garanti aux auteurs et artistes, mais pas si cela doit se faire en mettant en gage le peuple tout entier et ses libertés civiques. Du reste, il faudrait également se demander pourquoi la survie des artistes semble aujourd’hui dépendre si fortement de tant d’acteurs privés, et si ce n’est pas un moyen bien facile pour les gouvernements de masquer l’absence d’une politique culturelle digne de ce nom.

Le mouvement Libre ne manque pas de propositions originales pour aider les auteurs à survivre (qui, paradoxalement, réhabilitent souvent des modèles fort anciens). En ce qu’il rapproche auteurs et public, le Libre facilite considérablement les démarches de don ou de mécénat, mais également les souscriptions, les commandes,... sans parler de pistes plus classiquement commerciales telles que la commercialisation de services ou le financement par la publicité.

Ces modèles de financement sont-ils viables à long terme ? Nous manquons de recul pour pouvoir l’affirmer. Les expériences menées en ce sens jusqu’à présent se sont avérées payantes en majorité, parce qu’elles étaient portées par l’enthousiasme du public et par des phénomènes de communauté. Nous ne pouvons rien affirmer à long terme, mais il est certain que la mise en place de tels modèles à grande échelle nécessiterait un courage politique qui est pour l’instant tragiquement inexistant parmi les gouvernements.

Il n’existe pas de martingale, toutefois : un auteur Libre n’aura certainement pas plus de facilité à gagner sa vie qu’un autre, et ce à plus forte raison s’il n’a aucun succès auprès du public.

 Le Libre est-il de gauche ? Vous parlez comme un communiste !

Le mouvement Libre s’est construit autour de valeurs telles que le partage et l’égalité de droits. Si vous considérez que ces valeurs sont « de gauche », alors le mouvement Libre sera certainement de gauche à vos yeux.

 Le Libre est-il de droite ? Vous parlez comme un ultralibéral !

Le mouvement Libre est fondé sur les libertés collectives et individuelles (auxquelles j’ajouterais l’égalité des chances). Si pour vous la nécessité de devoir faire ses preuves par soi-même, y compris en s’inspirant du travail d’autrui, et sans bénéficier de protections indues, est une valeur de droite, alors le Libre sera certainement de droite à vos yeux.

 Vous prônez un retour à l’Ancien Régime, en somme : sans Droit d’Auteur, pas d’artistes indépendants...

Réponse courte :
Malheureusement, je crains que l’indépendance des auteurs ne soit entretemps passée par pertes et profits. Autrefois l’on devait se faire bien voir d’un riche protecteur aristocrate, aujourd’hui l’on doit courtiser un producteur, un éditeur, un sponsor entrepreneurial ou je ne sais quelle fondation prétendument caritative...

Réponse longue…

La censure d’État, si elle n’est pas entièrement abolie, n’a plus rien à voir avec celle en vigueur sous l’Ancien Régime ou encore aujourd’hui dans bon nombre de dictatures (larvaires ou déclarées) : de cela, nous ne pouvons que nous réjouir.

(Il en reste néanmoins des traces : ainsi, je parlais plus haut de la distinction arbitraire entre « professionnels » et « amateurs », et l’État n’est pas le dernier à s’en servir aujourd’hui pour disqualifier de nombreux artistes.)

Cependant, à une heure où la « diversité culturelle » est agitée comme un hochet dans tous les discours politiques, nous ne pouvons ignorer que les phénomènes de concentration médiatique, culturelle, industrielle, ne peuvent qu’aller à l’encontre du pluralisme qu’une démocratie est en droit d’attendre en matière d’art, de savoir et d’information.

(Il existe la même hypocrisie en matière économique, où comme je le disais plus haut, ceux-là même qui se targuent d’une prétendue « qualité » ou « exception » culturelle française, organisent de fait une fuite massive de capitaux hors de notre pays.)

Le mouvement Libre, ainsi que toutes les initiatives contributives ou communautaires sur Internet, sont parvenus à créer une nouvelle richesse en ouvrant la voie à des alternatives, mais ce n’est qu’une demi-victoire. Tout d’abord parce que le réseau Internet n’est lui-même pas exempt de phénomènes de concentration ou de privatisation. Ensuite parce que toute communauté crée elle-même ses cercles d’influence et ses exclusions, et le Libre n’y fait pas exception.

 Pourquoi écrivez-vous « Libre » avec une majuscule ?

... À part pour me donner ce petit air pédant et insupportable, voulez-vous dire ? :)

C’est une habitude que j’ai prise en langue anglaise, où le fait de mettre une majuscule au terme Free me permet de distinguer le sens de « libre » du sens de « gratuit ». En langue française cette ambigüité est moins présente — encore que, comme je l’expliquais plus haut, l’expression « libre de droits » est particulièrement inepte et préjudiciable.

Je ne connais personne d’autre qui utilise cette convention typographique, mais elle me semble judicieuse car le mot « liberté » veut dire bien des choses (et l’on lui en fait dire encore davantage !).

Messages

  • Bon j’ai survoler, j’ai pas insister je pense savoir ce qu’est le libre etc

    Je noterais juste une chose, « l’égalité des chances ».

    Ceci est une escroquerie.

    Soit on fait l’égalité soit les chances, mais mélanger les 2 n’a pour but que de tromper les gens.(kozy a baser sa propagande la dessus, ca devrait mettre la puce a l’oreille…)

    Ce n’est donc pas le but du libre puis qu’il me semble que le libre veut et fait l’égalité. Tous le monde a les même droits. exécutifs, modificatifs etc

    Le libre est donc de gauche puisque la gauche veut et fait l’égalité. :)

    • Votre objection est intéressante, et je dois avouer que je n’y avais pas vraiment réfléchi (notez que j’évoque juste au-dessus la notion d’égalité de droit, qui est probablement plus précise et moins sujette à ce que vous qualifiez d’« escroquerie »).

      J’entends couramment parler d’« égalité des chances », et vous avez raison de souligner que le gouvernement actuel brandit volontiers ce terme pour un oui ou pour un non. Lorsque je l’entends, ça me laisse à peu près aussi indifférent que lorsque l’on parle de « démocratisation de la culture » : tout le monde est pour (ben voyons : qui pourrait sérieusement proclamer qu’il est contre ?), mais en attendant cela n’empêche pas de propager et maintenir coûte que coûte les injustices et les inégalités.

      Après, quant à savoir si c’est le concept d’« égalité des chances » en lui-même qui est pourri ou si c’est juste une conséquence de l’hypocrisie de nos gouvernants... je me garderais de trancher. Pour les besoins de mon article ci-dessus, j’ai voulu imaginer une droite « sincère » et dont les convictions ne seraient pas incompatibles avec les valeurs de notre république. Je veux croire qu’elle existe quelque part (non ?) .

      ... Et au passage : « la gauche veut et fait l’égalité »... Ah ouais, et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d’alu c’est ça ? XD

    • Pour réponse, non cette droite n’existe pas.

      Précision, quand je parle de gauche, je parle quand on est vraiment de gauche, historiquement et idéologiquement c’est ca la gauche. (égalité, justice etc)

      Alors forcément ca exclus le PS :) (je ne parlais donc pas ce celui ci)

      Après, a vous de voir qu’est ce qui rentre dans ce genre de critère a la gauche du PS.

      Sinon, je vous conseil fortement ceci :

      http://www.scoplepave.org/conf_incu...

      http://www.scoplepave.org/conf_incu...

      C’est enrichissant et bien fait, on apprends sans s’emmerder, bien au contraire :)

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Vous n'êtes pas un robot ? Alors veuillez répondre à cette question essentielle :
Quelle est la moitié du mot «toto» ? 

Ajouter un document