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32 variations sur 8 notes

pour quatuor à cordes

dimanche 6 septembre 2015, par Valentin.

Ces brèves variations ont été rédigées pour une soirée Oumupo à la Bibliothèque nationale de France, en décembre 2014.

  Sommaire  

Cette brève partition a été écrite pour un quatuor à cordes constitué de Clara Ahsbahs, Maëlle Le Gac, Antoine Cantin et Joseph Boisseau, qui l’a créée lors d’un « Mardi de l’Oumupo » à la Bibliothèque nationale de France, le 10 décembre 2014 (et rejouée quelques jours plus tard au conservatoire de Saint-Maur des Fossés). Voici un enregistrement de la création (l’enregistrement intégral est disponible ici), précédée de quelques mots de présentation :

32 variations sur 8 notes — partition complète
Licence Art Libre © Valentin Villenave, 2014.
Partie de violon I
Partie de violon II
Partie d’alto
Partie de violoncelle

 Historique.

[Cliquez pour déplier.]

Depuis l’automne 2014, le collectif Oumupo que j’anime, propose des soirées trimestrielles à la Bibliothèque nationale de France (BnF) sur le modèle des Jeudis de l’Oulipo.

La première de ces soirées se trouva programmée le jour de l’anniversaire de notre collègue Mike Solomon, qui fêtait alors ses 32 ans — ainsi le thème de la soirée était-il tout trouvé. Restait encore à décider du programme, et des invités éventuels ; j’avais envie de frapper fort (d’un point de vue scénique), et proposais donc à mes collègues d’inviter un quatuor à cordes.

(Petite parenthèse : le quatuor à cordes est l’une des très nombreuses revanches que j’ai à prendre avant de pouvoir peut-être, un jour, me bombarder « Compositeur ». J’en ai rédigé quelques pages dans mon enfance, puis à l’âge de 18-19 ans, puis encore ces dernières années, sans jamais parvenir à un résultat qui me convainque moi-même. Raison de plus pour me jeter sur cette occasion comme un teckel sur un jambonneau : on allait voir ce qu’on allait voir.)

Étant amené à fréquenter quotidiennement (ou peu s’en faut) le conservatoire de Saint-Maur des Fossés, je passai voir mon ancien prof de musique de chambre (par ailleurs lui-même un éminent violoniste de quatuor à cordes) Thierry Brodard, qui me recommanda quatre de ses élèves. Et le tour était joué ; non seulement lesdits élèves se montrèrent ravi de participer à l’opération, mais ils acceptèrent de bonne grâce de se livrer aux pitreries que mes collègues et moi-même (mais surtout mes collègues — je tiens à le préciser) avions envisagées : jouer en silence, jouer avec des brosses à dents, etc.

En fin de compte, la petite pièce présentée ici est l’une des rares partitions « sérieuses » que nous ayons incluses dans le programme ; certes, de « sérieux » à « chiant » il n’y a qu’un pas — j’espère toutefois que la brièveté de la chose permet d’y échapper au moins partiellement.

 Description

[Cliquez pour déplier.]

Avertissement : comme toujours, les quelques indications qui suivent ne sont livrées qu’à titre de curiosité, et ne sont pas nécessaires à la compréhension de la partition !

Ce morceau est une expérience de formalisme structurel autour de la gamme diatonique majeure ascendante : en d’autres termes, le célèbre do-ré-mi-fa-sol-la-si-do que les enfants apprennent en général avant toute autre notion musicale.

Le principe gouvernant l’écriture est donc très simple : dans chaque variation, chacun des quatre instruments jouera huit notes correspondant à une gamme majeure, dans une tonalité et un ordre donné.

Nous avons donc trente-deux notes par variation (les unissons sont interdits, à deux exceptions près), et trente-deux variations en tout. De même que les trente-deux notes sont réparties entre les quatre musiciens du quatuor, la partition est découpée en quatre sections regroupant huit variations chacune — c’est du moins mon intention première.

Le choix des tonalités couvre, bien entendu (et même si la partition doit rester globalement en do majeur), les douze tonalités disponibles. D’où s’ensuit un premier cas de conscience : comment se débrouiller pour que douze tonalités soient réparties équitablement en trente-deux variations ?

Voici le schéma de répartition auquel je suis parvenu a priori : toutes les tonalités « naturelles » (commençant sur une touche blanche du clavier) sont données trois fois (une fois de plus pour Do, dont nous verrons qu’il sert à indiquer certains points stratégiques de la pièce), et les tonalités « altérées » sont données deux fois.

Reste à définir, pour chacun des quatre instruments, un parcours tonal raisonné qui lui permette au total d’atteindre le nombre correct d’occurrences pour chaque tonique (pour chaque gamme). Voici par exemple le schéma des huit premières variations telles que je les ai notées dans mon cahier, après plusieurs essais moins intéressants de par leurs résultats :

Violon I 2 5 10 7 10 5 2
Violon II 2 7 10 5 10 7 2
Alto 5 10 7 2 7 10 5
Violoncelle 7 10 5 2 5 10 7

Cette succession de chiffres, malgré ses nombreuses symétries internes, peut sembler aride ; il s’agit en fait de l’intervalle entre chaque tonalité (c’est pourquoi il n’y a que sept nombres et non huit), exprimé en demi-tons ascendants (par exemple, une modulation de do vers vaut 2 ; une modulation de vers do vaut 10 plutôt que -2). On le voit, il s’agit uniquement de modulations voisines (quinte, quarte, seconde), ce qui permet des enchaînements presque « naturels » à l’oreille. (Par exemple, le violon I, partant de Do Majeur, joue ensuite des gammes de : Ré, Sol, Fa, Do, Sib, Mib et Fa.)

À cela s’ajoute la particularité de la position de départ, qui me permet d’introduire des notes étrangères dès la première variation :

Pour ne pas faire entendre tout de suite ces couleurs (quelque peu) inattendues, elles sont reléguées dans les derniers accords. Cela revient, cependant, à introduire du désordre dans la succession des gammes montantes (tout au moins pour celle en Fa Majeur, dont le si bémol aurait été entendu dès la quatrième note) ; ainsi s’impose un principe d’écriture dans lequel chaque instrument joue des lignes brisées, et seule l’impression auditive d’ensemble, grâce aux croisements complémentaires des autres parties, donne l’effet d’un mouvement mélodique global cohérent — quoique légèrement déstabilisant.

Cette écriture biscornue donne également l’avantage d’utiliser au maximum les cordes à vide et harmoniques d’octave de chaque instrument (on peut voir ici, par exemple, que le do grave est donné par l’alto et non par le violoncelle), résultant là encore en une couleur un peu étrange, avec beaucoup de notes non vibrées hiératiques et austères — impression que ne peu renforcer l’écriture rythmiques en valeurs uniformes et très longues, du moins au début (rondes puis blanches, noires, croches et enfin doubles-croches).

La « voix du haut », c’est-à-dire la note la plus aigüe quel que soit l’instrument qui la donne, suit des gammes diatoniques en notes non-altérées : de do à do', de à ré', et ainsi de suite. Un problème se pose d’ailleurs arrivé au si (c’est-à-dire la septième variation), puisque selon le tableau ci-dessus, les instruments sont (de bas en haut) en La bémol, Fa, Do et Mi bémol majeurs. Seul le violon II (qui joue la gamme de Do) peut donner un si naturel... mais un seul ! Je choisis donc de le garder en réserve pour l’arrivée de la gamme montante, et de remplacer le si de départ par un agrégat chromatique (<sol lab la sib>), un peu comme un mauvais élève qui fait un pâté sur sa copie lorsqu’il ne parvient pas à trouver l’orthographe correcte d’un mot.

Le discours devient progressivement plus vivant et animé (on ne s’y attendait pas du tout, c’est d’une originalité à peine croyable) ; ce qui nous conduit aux huit variations suivantes qui tiennent lieu, en quelque sorte, de scherzo. Les échelles s’enchaînent, de nouveau, selon des secondes et des quartes/quintes quoique de façon un peu plus irrégulière : en fait, ce passage (surtout dans ses dernières mesures) sert de variable d’ajustement afin d’atteindre le total des occurrences pour chaque tonique, exposé plus haut.

Plus rigoureuse, l’organisation rythmique est entièrement gouvernée par des principes de symétrie :

Nous voici à la moitié de la partition (dix-septième variation), (lourdement) soulignée par une gamme de Do Majeur donnée pour la première fois par tous les instruments et dans l’ordre correct, ascendant et descendant. C’est également la première fois que l’unisson est autorisé, et donne même lieu à un(e sorte de) gag puisqu’il n’arrivera que sous forme de pizzicato sur le dernier temps de la mesure.

Cette « variation » isolée tranche avec la progression du discours depuis le début de la pièce ; elle présente aussi l’inconvénient (ou l’avantage, c’est à voir) de décaler la structure jusqu’ici installée en « carrures » de huit variations. De surcroît, je prévois de faire intervenir une autre phrase indépendante en Do Majeur, précédée (comme nous le verrons) par une structure harmonique de huit autres variations.

Ce ne sont donc pas sept mais seulement six variations qu’il me reste à écrire ici ; je les mets à profit pour explorer, dans un tempo énergique (avec des gestes un peu pompés sur inspiré par Bartók) les tonalités « naturelles » autres que Do.

Rythmiquement, six mesures permettent d’envisager deux blocs de trois mesures : le premier sera à sept temps, le deuxième à cinq (afin de s’amuser avec des chiffres impairs autour de six). Encore une fois, la répartition des durées (je compte ici à la double-croche) donne lieu à une forme d’écriture combinatoire :

2 2 1 1 2 2 1 3
1 1 2 2 1 3 2 2
1 3 2 2 1 1 2 2

et ainsi de suite.

C’est donc avec une mesure d’avance (un plus six) que nous arrivons dans la dernière section de huit mesures, qui nous invite à un saut dans le temps d’un siècle et demi en arrière, avec une sorte de divertimento en imitations. Un plan tonal en quintes semble se faire entendre, et pour cause :

Violon I 7 10 5 2 5 10 7
Violon II 5 10 7 2 7 10 5
Alto 2 7 10 5 10 7 2
Violoncelle 2 5 10 7 10 5 2

On a ici l’exacte symétrie de l’enchaînement harmonique présenté au début de la partition, mais cette fois dans des tonalités altérées.

Ces enchaînements nous conduisent vers l’accord <fad si dod fad>, dans la même disposition que le tout début de la première variation, mais cette fois transposée au triton. L’allusion est faite explicitement dans une brève phrase (« variation ») où tout le monde se retrouve en homorythmie, qui conduit à une nouvelle allusion historique (cette fois du côté de la musique baroque, le violoncelle en pizzicato évoquant vaguement une basse continue pour peu que l’on soit suffisamment bourré).

Le discours se désagrège assez piteusement dans les mesures suivantes, avec un vague départ de fugato, des triolets de blanches qui se baladent par là-dessus, un effet d’accélération (protip : ne dites pas « accélération » comme un vulgaire roturier, dites « crescendo agogique » et devenez bientôt, vous aussi, musicologue à la Sorbonne) qui évoque lointainement le début de la pièce ; bref, chacun fait un peu son truc dans son coin... et puis au dernier moment, un peu comme dans un drame bourgeois atrocement mal ficelé, tout le monde se réconcilie et termine à l’unisson en Do Majeur. La morale est sauve.

Je laisserai le mot de la fin à mon collègue (et semble-t-il, à ma propre surprise, ami) Jean-François Ballèvre, qui, lorsque je le croisai au Conservatoire quelques jours après nos turpitudes oumupiennes, me glissa au sujet de ce quatuor : « C’est très bien ; je vois ce que tu cherches à accomplir artistiquement avec l’Oumupo, et tu es en train d’y arriver. Tu n’y es pas encore... mais tu es en train d’y arriver. »

Je restai quelques instants, perplexe, au milieu du couloir.

« Je vois ce que tu cherches » ?

Ça en fait au moins un.

Valentin.

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